Sonntag, 3. Januar 2016

Afrique Centrale: la fin des illusions


Afrique Centrale: la fin des illusions


Pics ACEn Afrique centrale, les bouleversements géopolitiques du début de la décennie 90 se sont durement fait ressentir avec des guerres civiles qui ont notamment touché quatre pays dont on parle beaucoup actuellement : Burundi (octobre 1993 à novembre 2003), Congo (de juin à octobre 1997), RDC (octobre 1996 à mai 1997 et août 1998 à décembre 2002) et Rwanda (octobre 1990 à juillet 1994).
Ces périodes de guerre ont été suivies par des périodes de transition qui n’avaient bien entendu pas toutes les mêmes bases, vu qu’elles arrivaient après des victoires militaires au Congo et au Rwanda, alors que le partage du pouvoir a été la recette au Burundi et en RDC, où il n y a eu ni vainqueur ni vaincu.
Les périodes de transition
Les transitions avaient principalement pour but de conduire à la réconciliation nationale, à des élections démocratiques et à l’émergence d’un état de droit. Dans le cas du Burundi et de la RDC, la création d’une armée nationale républicaine, regroupant les forces autrefois belligérantes, représentait un objectif supplémentaire. Le Burundi a réussi ce pari alors que la réforme du secteur de la sécurité en RDC a échoué.
Au bout du compte, les transitions dans ces quatre pays ont surtout permis de consolider la domination politique des personnalités ou groupes ayant, d’une certaine manière, gagné la guerre.
Au Congo et au Rwanda, les  victoires de Sassou Nguesso et Paul Kagame ne laissaient aucun doute sur le fait que les vainqueurs imposeraient leur loi aux vaincus et qu’ils redéfiniraient le jeu politique à leur convenance. C’est donc sans surprise qu’ils ont respectivement remporté leurs premiers septennats post-transition en 2002 pour Sassou et 2003 pour Kagame.
Au Burundi, si les rébellions hutu du CNDD-FDD et du FNL n’ont pas réussi à renverser le pouvoir tutsi par les armes, elles ont cependant réussi à définitivement modifier le jeu politique en permettant à la majorité hutu d’accéder au pouvoir par la loi du nombre. Le CNDD-FDD, seule rébellion hutu à avoir rejoint la transition, a récolté la mise en remportant les premières élections de 2005.
En RDC, la première guerre a permis aux Kabila d’arriver au pouvoir et la deuxième n’a pas réussi à les en éloigner. Joseph Kabila a par la suite réussi à tirer son épingle du jeu à la fin de la transition 1+4, en remportant la présidentielle de 2006.
L’accomplissement des objectifs assignés aux transitions a varié selon les pays, mais ces périodes ont permis d’une part, l’adoption par référendum de nouvelles constitutions (en 2002 au Congo, en 2003 au Rwanda, en 2005 au Burundi et en RDC) limitant à deux le nombre de mandats présidentiels ; et d’autre part, de légitimer le pouvoir de ceux qui y avaient accédé (in-) directement par les armes. Comme disait Mao Tsé-Toung : « le pouvoir est au bout du fusil. »
Les élections et leur illusion
Le fait que les anciens chefs de guerre aient gagné les élections ne signifie pas qu’elles étaient forcément truquées. Différentes raisons objectives, que nous évoquerons ci-dessous, y ont contribué.
Dans le cas du Congo et du Rwanda, la mainmise des régimes autoritaires sur l’espace public n’a laissé que très peu de place aux partis d’opposition pour exister. Les scores staliniens réalisés par les deux présidents, dont les pays ont pourtant été ravagés par des guerres ethniques, l’illustrent bien : Sassou Nguesso a été élu avec 89,41 % en 2002 et 78,61 % en 2009, alors que Paul Kagame a remporté 95% des suffrages exprimés en 2003 et 93% en 2010.
Au Burundi, le CNDD-FDD, devenu parti politique, a nettement remporté les élections législatives de 2005 (presque 60%), ce qui a permis l’élection par le Congrès de son leader Pierre Nkurunziza à la présidence de la république. L’exercice du pouvoir par le CNDD-FDD est devenu très rapidement autoritaire et a conduit au boycott des élections de 2010 par la majorité des forces d’opposition. Pierre Nkurunziza a alors été élu avec plus de 90% et son parti devint ultra-majoritaire au parlement.
En RDC, Joseph Kabila, qui a axé sa campagne de 2006 sur la réunification du pays divisé par la guerre, est élu président de la république au deuxième tour de la présidentielle avec une majorité confortable de 58%. L’exercice du pouvoir dans le pays va devenir de plus en plus autoritaire et va aboutir à la révision constitutionnelle de 2011, ramenant  de deux à un le nombre de tours à l’élection présidentielle, pour favoriser la réélection de Joseph Kabila obtenue lors des élections chaotiques de novembre 2011.
Dans les quatre cas, ces élections ont donné l’illusion que l’accession au pouvoir se faisait dorénavant par les urnes, même lorsque ces élections n’étaient  pas transparentes. Cette illusion a contenté tout le monde, sauf qu’il ne s’agissait pas d’accession mais plutôt de maintien au pouvoir.
Outre les irrégularités électorales dans certains cas, on constate que les peuples, échaudés par la guerre, ont souvent préféré voter pour «ceux qui ont ramené la paix et la stabilité » ou ont évité que leur défaite ne soit synonyme de guerre. On se rappelle par exemple en 2011 de phrases telles que : « Si Kabila perd, c’est la guerre». Il faut cependant admettre qu’en Afrique, il est difficile pour un régime en place de perdre les élections. Face à une opposition démunie et désunie, le parti au pouvoir se sert souvent des moyens de l’Etat (finances, justice, médias, administration) pour s’implanter, supplanter ses rivaux et assurer ses victoires électorales.
La Communauté Internationale s’est également contentée de l’illusion offerte par ces élections, d’une part pour ne pas mettre en péril ses intérêts dans ces pays en se fâchant avec leurs «hommes forts », et d’autre part, parce qu’elle ne voyait pas qui pourraient les remplacer. Elle a ainsi fermé les yeux sur la révision constitutionnelle de 2011 en RDC ou sur l’autoritarisme au Rwanda avec la même question : « Qui d’autre si ce n’est pas Kagame ? Si ce n’est pas Sassou ? Si ce n’est pas Kabila ? … »
La fin d’un cycle
C’est entre 2015 et 2017 (c’est à dire maintenant) que les quatre présidents arrivent au terme de leur dernier mandat. Les différentes parties prenantes (peuple, opposition politique, Communauté Internationale et même certains au sein des régimes au pouvoir) ont fait mine de croire que les présidents quitteraient le pouvoir conformément aux constitutions. C’est le contraire qui est arrivé, ils ont tous tenté de se maintenir au pouvoir par la révision constitutionnelle ou un procédé similaire.
C’est chose faite au Congo et au Rwanda. Les « hommes forts »viennent de s’accorder le droit de rester au pouvoir encore pour plusieurs années via des élections-illusions.
Au Burundi, Pierre Nkurunziza semble, pour le moment, avoir réussi à se maintenir au pouvoir grâce au soutien de la majorité des forces de sécurité. Sa révision constitutionnelle a échoué mais il a tout de même obtenu un troisième mandat qui a entrainé le pays dans un cycle de violence.
En RDC, la volonté de Joseph Kabila de rester au pouvoir ne fait plus aucun doute alors que l’opposition, la société civile et la Communauté Internationale exigent toutes l’alternance démocratique. Comme ses homologues, il est peu probable que Joseph Kabila, le seul à contrôler l’appareil d’État (armée, justice, etc.), n’accepte de céder le pouvoir que son père a obtenu par les armes.
Et maintenant ?  
Les événements des derniers mois en Afrique centrale ont démontré que la théorie du « deux mandats puis on s’en va » était une illusion, que la passation civilisée du pouvoir quand on l’a obtenu par la force ne coulait pas de source. C’est donc la fin d’un cycle, l’échec d’une certaine approche de la stabilisation des pays post-conflits, dont la mise en œuvre a commencé au début des années 2000.
La force des armes est-elle le seul moyen d’obtenir le départ des dirigeants qui se maintiennent ? Cette option constituerait un retour à la case départ, sans la moindre garantie que les nouveaux vainqueurs quitteront pacifiquement le pouvoir quand le moment convenu sera venu.
Faut-il pour autant désespérer de voir des alternances démocratiques en Afrique centrale ? Aujourd’hui, tous les régimes au pouvoir se sentent obligés d’organiser des élections, même si elles sont imparfaites, pour donner une apparence de normalité. Les élections sont donc devenues la norme, c’est une avancée sur laquelle il faudra capitaliser à l’avenir dans la réflexion sur la stabilisation des pays post-conflits. L’enjeu est maintenant de faire en sorte que ces élections reflètent l’expression  du peuple.
 Pictures : Photo: (From left to right) President of Burundi Pierre Nkurunziza (EPA/BRITTA PEDERSEN) ; President of Congo Denis Sassou-Nguesso (EPA/JULIEN WARNAND); President of Rwanda Paul Kagame (EPA/GEORGI LICOVSKI); President of DRC Joseph Kabila (EPA/MICHAEL KAPPELER).

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